Du Sénat à Liffol-le-Grand, votre parcours professionnel semble un peu…
Tortueux ? (Rires) Oui, en effet… Cela dit, quand j’y repense maintenant, je travaillais bien plus souvent dans la bibliothèque du Sénat que dans mon bureau. Et dans ces espaces où vous êtes mêlés aux sénateurs, il y a certains sièges qui leur sont réservés et sur lesquels les assistants ont l’interdiction formelle de s’asseoir. Forcément, ça entraîne une certaine fascination pour ces meubles « sacrés ».
Il m’a fallu encore quelques années et un an de voyage autour du monde pour assumer ma volonté de me reconvertir. Je ne m’épanouissais pas dans le travail de bureau, j’avais besoin de mettre mes mains au service de mon intelligence et vice-versa !
C’est quelque chose qui revient souvent dans votre discours, ce refus d’une opposition travail manuel/travail intellectuel.
Le premier élément pour moi, et qui est à la base de ma reconversion, est de maîtriser un métier qui fasse appel à l’ensemble des capacités de l’être humain, c’est-à-dire une activité qui me permette d’utiliser à la fois ma tête et mes mains. Cette dichotomie entre travail dit intellectuel et travail dit manuel, en plus d’être inapte à décrire la réalité, représente pour moi une amputation de nos possibilités, et donc de notre épanouissement. Notre manière même de penser est le fruit de l’interaction de notre corps avec le monde réel, et non pas le produit d’une computation intracrânienne.
En maîtrisant des techniques et un langage particuliers, c’est-à-dire en évoluant dans un monde qui nous est spécifique, on existe concrètement et on s’insère socialement.
Après trois ans de reconversion dans les métiers du bois, vous vous sentez davantage émancipé ?
Je n’ai aucun doute là-dessus. Maîtriser le processus de création de A à Z est important pour moi ; c’est concevoir une chaise de bout en bout, des croquis exploratoires à la modélisation 3D, en passant par le prowtotypage pour finir par la fabrication. Je ne connais rien de plus gratifiant que ce moment où vous montez pour la première fois votre chaise, cette image mentale devenue une réalité physique qui vous fait obstacle.
Cependant, pour être honnête, une fois cette première étape valorisante passée, je ne connais pas un artisan d’art qui n’est pas sans cesse en train de ne voir que les défauts de sa création, des défauts que personne ne verra par ailleurs.
C’est notre malédiction à nous les artisans…
Je crois que vous étiez très fier d’être en menuiserie en sièges l’année où Liffol-le-Grand a obtenu un label prestigieux.
Je n’ai jamais été aussi fier d’un diplôme que lorsque j’ai obtenu mon CAP en ébénisterie. Et quand j’ai enchaîné sur le CAP en menuiserie en sièges, en effet c’était la même année que l’attribution d’une Indication Géographique, « le Siège de Liffol ». Pour moi, c’était en quelque sorte être relié à plus d’un siècle de savoir-faire et surtout de menuisiers en siège.
Ce que je suis aujourd’hui, je le dois à mes maîtres Jean-Pierre Lengrand, Meilleur Ouvrier de France, et Thierry Leblanc, prototypiste chez Laval. Et eux-mêmes tiennent leurs savoir-faire des générations passées.
Le fait de s’inscrire dans une longue chaîne humaine est quelque chose de fort. Je regrette qu’aujourd’hui les ouvriers de Liffol n’aient que peu de reconnaissance alors qu’ils ont de l’or dans les mains.
C’est d’ailleurs une des dimensions qui se retrouve dans mon travail.
Ces trois années de reconversion se finissent, quels sont vos projets ?
A la rentrée, je rejoins L’Atelier 124, fruit de la rencontre entre Lise Saillard et Thibault Périsse, deux jeunes créateurs talentueux. Installé sur Nancy, cet atelier traduit une volonté d’équilibre entre esprit design et savoir-faire artisanal dans la création de mobilier contemporain. Mon arrivée a pour objectif de consolider le travail réalisé pendant quatre ans, afin de pouvoir rapidement monter en gamme. La difficulté va être de permettre à chacun de s’exprimer à travers ses créations tout en gardant une cohérence générale. Parallèlement à cela, nous serons très engagés dans la promotion des métiers, en particulier au sein du collectif de créateurs lorrains « Be arti ».